MySommeil est allé à la rencontre de Nathalie Pages, docteur en pharmacie spécialisée dans l’accompagnement des parents pour les aider à gérer le sommeil de leurs enfants.

Bonjour Nathalie Pages, vous êtes spécialisée dans l'accompagnement du sommeil de l'enfant, pouvez-nous nous parler des liens qui existent entre la sécurité et le sommeil des enfants ?

Vous avez raison de commencer par cette question car il est essentiel de le préciser. Je vous propose de retrouver sur le site Larousse.fr trois définitions :

  • Sommeil  : « état physiologique périodique de l’organisme pendant lequel la vigilance est suspendue et la réactivité aux stimulations amoindrie. »Il en ressort que tout ce qui va permettre la baisse de la vigilance et de la réactivité de l’organisme, va favoriser le sommeil.
  • Sécurité : « Situation, dans laquelle quelqu’un, quelque chose, n’est exposé à aucun risque, en particulier d’agression physique,  d’accident, de détérioration » Assurance, confiance, couverture, protection, refuge, sûreté, tranquillité… Il en découle que tout ce qui favorise l’absence de risque, la confiance, la protection, va aller dans le sens du sommeil.
  • La troisième notion essentielle est liée au lâcher-prise. Retournons sur larousse.fr :
  • Lâcher-prise  : Abandonner ce que l’on tenait, cesser l’attaque, renoncer à une action / Relâcher, abandonner, renoncer, livrer, libérer…Il s’agit bien là de lâcher ce qui concerne l’éveil…

Pour résumer : l’endormissement et le maintien du sommeil sont liés à la baisse de vigilance et de réactivité, permise par le lâcher-prise, possible en situation de sécurité physique et affective.

En quoi est-ce important pour le sommeil de nos enfants ?

Trois raisons de rester vigilants au sommeil de nos enfants.

  • Dès la naissance, la maturation du cerveau et le développement corporel sont totalement liés aux stades de sommeil. Les (nombreuses) étapes de maturation physique et psychique, largement décrites par tous les grands spécialistes du développement de l’enfant, s’accompagnent de ce que le Pr André Kahn appelait les  troubles "normaux" du sommeil. C’est le cas par exemple des bébés âgés de 7 à 9 mois, lors de l’apprentissage de la séparation, l’apprentissage du langage ou de la propreté, la phase d’Œdipe, l’adolescence et ses énormes bouleversements….
  • Tout au long de la vie, notre sommeil est acteur et gardien de nos forces et compétences physiques et psychiques. Des perturbations supplémentaires répétitives et chroniques peuvent avoir de réelles conséquences sur le développement et les comportements de l’enfant.
  • Notre cerveau, depuis la nuit des temps, veille sur nous..et sur notre sommeil.  Lorsque nous dormons, une partie de notre cerveau s’assure en continu de la sécurité de l’environnement. Assurer le sentiment de sécurité au bon moment favorise le lâcher-prise, et le sommeil.

Les plus grands spécialistes de l’enfant s’accordent pour indiquer qu’il n’y a pas de développement sans sécurité. Favoriser cette sécurité physique et affective permet le lâcher-prise nécessaire à se laisser aller vers le sommeil, en toute tranquillité.

Comment assurer le sentiment de sécurité de l'enfant ?

Dans ma pratique, je me base sur le «  Holding and Handling » de Winicott ; ceci consiste au soutien de l’enfant, tant physiquement que psychiquement, au travers des soins, contacts, échanges, variables selon l’âge.
2 sentiments existent :

  • Sécurité affective Confiance, environnement affectif ; peau à peau, bras, portage, lit parental ; rituels, doudous, tétine, regard, parole ;
  • Sécurité physique Contenant, enveloppement, repères, couchages, lumière, sons, musique, tissus… Satiété, absence de douleur, confort corporel…

Deux points restent essentiels cependant :

  • Un paradoxe apparent est que, plus le bébé ou l'enfant en bas-âge est sécurisé, plus l’apprentissage de l’autonomie sera, ensuite, favorisé. C’est ce que les spécialistes appellent « Bien s’attacher pour mieux se détacher ». Lui répondre, à tout âge, est essentiel, par le toucher, le regard, la voix, que l'on va progressivement distancer, même si la raison de ses pleurs nous échappe ; s’il se sent entendu, il pourra apprendre peu à peu à se laisser aller au sommeil, dans la confiance de sa mère, de son père ou de la personne qui s'occupe de lui.
  • D’autre part, à tout âge,  le sentiment de sécurité de l’enfant et indissociable de la sphère des émotions familiales ; pas de panique, la vie est une succession de bons moments et de mauvaises passes, les variations sont donc inévitables, mais il est important de garder le cap d’une transition calme et apaisante vers le sommeil, et ceci d’autant plus que la journée a pu être compliquée… Comme pour nous, les adultes.

Il s’agit donc de nous servir de l’observation, du bon sens, de la simplicité, pour assurer la sécurité physique et affective, totalement indissociable du lâcher-prise, du sommeil, du développement de l’enfant, quels que soient son âge et son stade de développement. C’est par exemple le rôle des rituels du coucher, des doudous, si importants dans ces apprentissages.
L’anxiété, l’insécurité, stimulent la peur, la vigilance, et s’opposent au sommeil. Il est donc capital de veiller à préserver le sentiment de sécurité physique et affective du bébé et de l’enfant, tout comme chacun de nous veille à préserver son cocon sommeil…..

Quelles sont les erreurs à éviter ?

Tout ce qui peut perturber le sommeil des bébés ou des enfants, et le vôtre !
On peut en effet facilement arriver à un conditionnement : l’endormissement ou le maintien du sommeil sont conditionnés à …. Biberon, présence de papa ou maman, main dans la main, tout ou partie de la nuit dans le lit parental, etc….
Ceci représenterait environ 80% des troubles du sommeil dans la tranche d’âge des enfants de 3 mois à 3 ans.

Jacky Israël (« Comment dorment les bébés ») en a clairement décrit le processus :
Un comportement ponctuel et parfaitement adapté peut devenir par la suite systématique, et surtout inadapté puis carrément addictif et régressif. Par ex : un endormissement systématique dans les bras ou en tétant parfaitement normal à 2 mois devient inadapté quelques mois après, puis régressif ! Il est nécessaire néanmoins de garder en mémoire que cela dépend aussi étroitement des limites d’acceptation parentales.
Il y a donc nécessité d’une transition. On peut par exemple débuter vers 4 mois (chez un bébé à terme et sécurisé) un apprentissage à l’endormissement autonome, en espaçant progressivement le sommeil de la tétée, puis de tout ce qui concerne l’éveil, et en commençant à le coucher éveillé.

Quelles sont les erreurs les plus courantes ?

  • Considérer  le bébé comme un petit homme : c’est un petit d’homme, qui a une énorme route à construire, au travers de ses éveils, de son sommeil, de la confiance et de la sécurisation ;
  • Réveiller systématiquement un tout petit, pour le bain, le changer, la visite de la famille… laissons-le dormir en paix ! (Une exception cependant, la nécessité de le réveiller pour le nourrir sur avis médical) ;
  • Oublier les rituels, ou au contraire trop les prolonger : ils sont essentiels. Une présence parentale avant l’endormissement est nécessaire, rassurante et favorise la transition vers le sommeil. Mais excessive ou persistant pendant le sommeil, cette présence parentale peut devenir contre-productive ;
  • À éviter également l’anxiété de résultat (« il faut qu’il dorme », car pas plus que nous il ne peut dormir sur commande !), l’énervement, le stress parental lié au sommeil de l’enfant, ou à  la journée qui s’achève….;
  • Les écrans peuvent l’occuper un moment, mais vont stimuler sa vigilance et peut-être ses peurs ;
  • le biberon est un repas, pas un rituel de sommeil ; - le bain est plutôt stimulant en général ; - le lit est un lieu de sommeil, pas un terrain de jeu ni un espace de punition. Et puis, rien ne remplacera un câlin, une chanson, un moment personnel, court, précieux, qui sera là pour préparer la séparation de la nuit et du sommeil.
  • Pour conclure, je dirai que l’observation nous indique si nous faisons bonne route : le comportement de l’enfant de nuit comme de jour, la qualité de notre propre sommeil.
  • La dernière erreur serait de rester seul face à un problème de sommeil, là où « on n’en peut plus ». Nous sommes des humains, avec nos stress et nos angoisses, pas des super-héros de l’éducation et de l’apprentissage. Il est indispensable de savoir demander de l’aide, car la qualité du sommeil de l’enfant impacte sa qualité de vie et donc celle de toute la famille. Et nous avons tout à y gagner.
8 juillet 2022