« Tu devrais aller te coucher plus tôt », « Allez, debout, il est 11 heures passé », « C’est  pas vrai, tu es encore devant l’ordinateur… tu as pourtant cours demain ! ».  Voilà certains commentaires parentaux qui tendent à irriter les adolescents, et pourtant… 

De nombreuses recherches mettent en évidence que le sommeil [1,2,3] et la régularité du rythme [1,4] sont déterminants pour l’ajustement émotionnel et comportemental des jeunes. Certes, le sommeil subit de profondes transformations au moment de la puberté (modification des modalités biologiques de régulation du sommeil, autonomie accrue qui tend à faire évoluer le comportement vespéral du jeune, …), il est cependant nécessaire que l’adolescent préserve ce temps de repos en évitant d’imposer à son organisme d’importantes restrictions de sommeil ou en lui infligeant un état proche du jet-lag.

Le sommeil de l'adolescent

  • Un sommeil « naturellement » malmené pour des raisons comportementales

L’adolescence est une période de transition au cours de laquelle les jeunes sont confrontés à de nombreux changements. Au-delà des transformations physique initiées par l’entrée en puberté, cette période de la vie se caractérise également par l’émancipation progressive vis-à-vis des parents, y compris en ce qui concerne les habitudes de sommeil [5]. Ainsi la proportion d’élèves dont les parents fixent l’heure du coucher décroît drastiquement durant le secondaire [6,7,8]. Par ailleurs, les adolescents évoluent dans un environnement attractif du point de vue des technologies de la communication et de l’information [9]. Téléphones, télévisions et ordinateurs sont autant de médias qui occupent une grande partie de leurs activités vespérales [10] et dont la disponibilité croît au cours du développement [11]. Or, les résultats de plusieurs études s’accordent sur un lien étroit entre l’utilisation de médias électroniques et les difficultés de sommeil [12,13,14].

  • un sommeil « naturellement » malmené pour des raisons biologiques

Au moment de la puberté, des changements développementaux interviennent sur plusieurs aspects du sommeil [15,16]. Dans un premier temps, il existe un déclin du sommeil lent profond au profit du sommeil lent léger [17,18]. Le jeune devient donc plus sensible aux bruits environnants qui peuvent rendre l’endormissement plus difficile. Les adolescents pubères se caractérisent également par  un retard « naturel » de leur horloge biologique qui tend à les rendre davantage vespéraux [16,19,20]. Par ailleurs, ils présenteraient une forme de résistance à la pression de sommeil [21,22] leur permettant de veiller plus tard. Dès lors, il leur devient plus difficile de s’endormir aux horaires qui leurs étaient imposés durant l’enfance et, comme évoqué plus haut, ils ont ainsi davantage tendance à investir des activités électroniques et/ou sociales en soirée. Une fois assoupi, un adolescent a besoin d’environ neuf heures de sommeil [18]. Cependant les levers matinaux imposés par le moment du début des cours permettent rarement d’atteindre cette durée [23,24,25].

Sommeil, ajustement émotionnel et comportemental : des liens à ne pas négliger

Selon plusieurs travaux scientifiques, le manque de sommeil et son irrégularité ne restent pas sans conséquences pour les adolescents. Ils seraient à la base de difficultés d’ajustement tant émotionnel que comportemental. L’anxiété, la dépression, les stratégies déployées pour faire face à des situations stressantes ou encore le niveau d’agressivité sont, ainsi, impactés par le manque de sommeil et l’irrégularité du rythme veille/sommeil.

Plusieurs études indiquent que les problèmes de sommeil à l’adolescence sont étroitement liés à la dépression ou encore à l’anxiété [26,27]. Killgore et ses collaborateurs [28] ont montré qu’une dette de sommeil imposée expérimentalement entrainait une diminution de l’affirmation de soi ainsi qu’une chute des capacités à maintenir son calme sous pression. Pour les auteurs de ce travail, ces constats seraient dus au fait que le manque de sommeil génère des changements cérébraux, notamment un dysfonctionnement temporaire du cortex préfrontal-ventromédian (zone particulièrement sensible au manque de sommeil, connue pour son rôle dans l’intelligence émotionnelle).

Concernant l’agressivité, plusieurs recherches suggèrent que les adolescents dont les horaires de sommeil sont irréguliers et le temps de sommeil faible sont plus enclins à être agressifs comparés à ceux qui ne connaissent pas ces « déficits » de sommeil [4,29,30,31]. Un des mécanismes sous-jacents souvent évoqué stipule que le manque de sommeil génère un défaut d’inhibition ainsi qu’une irritabilité et une impulsivité accrues, notamment face à des stimuli perçus comme négatifs (un regard, une remarque, une bousculade non intentionnelle, …) [2,3,28,32].

Le travail d’une équipe de recherche américaine [33] permet de se rassurer : le manque de sommeil n’entraine pas une élévation définitive de l’agressivité chez les adolescents. En effet ces chercheurs ont suivi le niveau d’agressivité de jeunes soumis à une thérapie comportementale visant à promouvoir leur sommeil. Les résultats indiquent que les adolescents dont le temps de sommeil a considérablement augmenté rapportent significativement moins de pensées agressives et d’actes agressifs que ceux pour lesquels cette durée de sommeil n’a que peu évolué. Par ailleurs, d’autres études ont montré que des troubles du sommeil (tels que le syndrome d’apnées du sommeil ou les mouvements périodiques des jambes, connus pour fragmenter le sommeil) étaient associés à de l’agressivité ainsi qu’à une tendance à l’insolence [34], mais qu’une fois traités, ces jeunes présentaient, 6 mois à un an plus tard, des niveaux d’impulsivité et d’agressivité comparables voire même inférieurs à ceux obtenus dans un groupe contrôle, sain [35].

Les jeunes qui manquent de sommeil et dont le rythme de vie est irrégulier ont donc un risque accru de se montrer agressifs. A cela s’ajoute la difficulté à faire face efficacement à des situations de stress : examens ou encore disputes et agressions…

Ces différentes études n’offriraient-elles pas des pistes à explorer pour mieux comprendre les phénomènes de harcèlement à l’école (bullying)…? Le manque de sommeil augmenterait-il le risque pour certains élèves « vulnérables » d’avoir recours à des agissements agressifs à l’encontre de leurs pairs ? La qualité de sommeil détériorée des adolescents victimes d’intimidation ne jouerait-elle pas un rôle dans l’émergence des troubles émotionnels de ces élèves qui finissent par rencontrer des difficultés à faire face à ce type d’agissement ?

Même si de nombreuses questions doivent encore être explorées, les travaux menés jusqu’à maintenant invitent à ne pas négliger le rôle du sommeil et de sa régularité sur l’ajustement émotionnel et comportemental des adolescents.

« Violaine Kubiszewski est actuellement doctorante à l’Université François Rabelais de Tours. Son travail de thèse porte la question du harcèlement scolaire (Bullying), une situation scolaire non sans lien avec le sommeil »

Ce qu’il reste à faire : Même si la littérature scientifique fournit de nombreuses pistes de réflexion quant aux liens entre ajustement émotionnel/comportemental et sommeil à l’adolescence, des études restent à mener pour mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent ces associations. Par ailleurs, sur cette thématique de l’adolescence, il existe d’importantes différences interindividuelles. Il reste donc encore à préciser, par le biais d’approches différentielles, le rôle joué par les facteurs bio-psycho-sociaux dans ces différences observées d’un adolescent à l’autre.

12 décembre 2023